mercredi 11 octobre 2017

Pascal - Sur les pas de Jaccottet

A la pêche

Je suis la ligne indécise des arbres ; le long du sentier, elle est mon guide quand je relève la tête. Sur leurs cimes, l’aube s’immisce en décorant l’horizon de guirlandes encore somnolentes. Pourtant, en coulisses, les falbalas du petit matin s’affûtent, les dorures s’astiquent, l’or se fond et se farde, les flamboyants s’intronisent. Précipités, enthousiastes, triomphants, je les devine dans l’ordre exalté du jour naissant.

Maintenant, la noirceur fantomatique se morcelle en impressions tenaces. La nuit s’effiloche ; son agonie renvoie dans les chaumières les amants et les maîtresses. Après le Sabbat des Ténèbres, faussement fidèles, les ombres se décollent, se détachent, s’arrachent et retrouvent leurs sujets ; fautives et harassées, elles se glissent à leurs pieds comme des épouses repentantes. Encore lascives, elles s’ébrouent aux frissons du petit jour, ces honteuses vestales ; ici et là, on peut sentir leurs parfums obsédants, derniers témoins fragrants d’une nuit de bacchanales. Les couleurs se projettent dans les décors, les oiseaux ont des allants de ténors, les sous-bois découvrent leurs trésors.

Tout à coup, tous les instruments de la Nature s’alignent et s’élèvent à l’unisson de la même note. Aux toc toc toc péremptoires d’un pic vert, comme une baguette de chef d’orchestre réclamant le silence sur son pupitre, le soleil entre en scène et ouvre le grand bal du jour.

Les arbres retrouvent du volume, ils se grandissent, ils s’épanouissent ; à la brise de l’air, en bruissant, ils ont même l‘emphase de discours printaniers ; leurs feuilles ont tant à dire. Aujourd’hui encore, l’honneur est sauf. En signe d’allégeance, les ombres au bercail ont empesé de bijoux de rosée leurs branches alourdies ; emprisonnés dans l’aiguail, on peut voir des toiles d’araignées en parures de diamants, des lits de mousse où d’inestimables perles se prélassent, des nymphes balbutiantes, irisées de lumière, comme des timides sylphides surprises pendant leurs intimes ablutions matinales…

Je l’entends plus que je ne la vois ; elle est là… ma rivière...

3 commentaires:

  1. tu nous invites là à une véritable symphonie de la nature !

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  2. Si les Impromptus littéraires n'existaient pas, il faudrait les inventer spécialement pour toi tant tu te coules admirablement dans cette forme. Chapeau !

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  3. Je l'entends couler, et je crois lire du Henri Bosco.
    C'est magnifique
    ¸¸.•*¨*• ☆

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